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Alpinisme : « Je n’ai jamais autant désiré le Nanga Parbat que cet hiver »

L’Italien Simone Morro a réussi, avec deux autres alpinistes, la première ascension hivernale du neuvième plus haut sommet de la planète.

Par  (Propos recueillis par)

Publié le 14 mars 2016 à 13h51, modifié le 15 mars 2016 à 10h12

Temps de Lecture 7 min.

Ali Sadpara déployant un drapeau miniature du Pakistan au sommet du Nanga Parbat,  le 26 février, avec Simone Moro

Vendredi 26 février, l’Italien Simone Moro, 48 ans, l’Espagnol Alex Txikon, 34 ans, et le Pakistanais Ali Sadpara, 39 ans, ont réussi la première ascension hivernale du Nanga Parbat, le neuvième plus haut sommet du monde, qui culmine à 8 126 mètres, dans la province de Gilgit-Baltistan, dans le Nord himalayen du Pakistan. Malade, l’Italienne Tamara Lunger, 29 ans, qui les accompagnait, a renoncé à quelques dizaines de mètres du sommet.

Depuis 1988, une trentaine d’expéditions menées par les alpinistes les plus expérimentés avaient tenté en vain leur chance en hiver sur « la montagne nue », également surnommée « la montagne tueuse » car 61 alpinistes ont perdu la vie sur ses flancs. Cette performance fait de Simone Moro l’alpiniste vivant ayant gravi le plus de sommets de plus de 8 000 mètres d’altitude, en hiver et sans oxygène artificiel. Il avait, en effet, déjà réussi les ascensions du Shishapangma (8 027 mètres) en 2005, du Makalu (8 463 mètres) en 2009, et du Gasherbrum II (8 035 mètres) en 2011 entre le 21 décembre et le 21 mars.

Cette ascension du Nanga Parbat fait de vous le détenteur du record des ascensions hivernales, pourquoi avoir choisi ce créneau ?

J’ai toujours voulu marquer l’histoire de l’alpinisme, trouver un enjeu qui me permettre d’effectuer des explorations. Je viens d’un pays dont les meilleurs alpinistes – Walter Bonatti, Reinhold Messner ou Riccardo Cassin – ont réalisé des exploits incroyables, aussi il me fallait être inventif. Je me suis plongé dans les livres de montagne, j’ai étudié les langues étrangères [il parle allemand, espagnol, français, italien et russe], et les hivernales m’ont inspiré. Je n’ai jamais pris une cuite, ni fumé une cigarette de toute ma vie, je ne me suis jamais couché à l’aube à cause d’une bringue, et je me suis toujours entraîné comme si l’alpinisme était une discipline olympique, en grimpant sur rocher et sur glace, bien sûr, mais aussi en courant 100 à 140 kilomètres par semaine, soit un semi-marathon presque tous les jours. Ce record de quatre ascensions hivernales n’est pas le plus important, car il n’existe que pour être amélioré. Ce qui compte, c’est d’avoir réalisé une première qui fait de nous des pionniers, des défricheurs.

Vous vous y êtes repris à plusieurs fois pour le Nanga Parbat…

Si l’on considère qu’une expédition dure environ trois mois, j’ai passé une année entière de ma vie sur cette montagne. J’y avais déjà fait des tentatives hivernales en 2011 et 2014 après y être allé une première fois au printemps 2003 en même temps que le Français Jean-Christophe Lafaille [disparu en 2006 au Népal sur les flancs du Makalu]. Il était allé au sommet en ouvrant une nouvelle voie, mais j’étais insuffisamment acclimaté et j’avais dû renoncer à 7 100 mètres. Je n’ai jamais autant désiré le Nanga Parbat que cet hiver. J’étais sûr de réussir. Je ne cessais de me répéter que le sommet était pour cette année.

Comment prépare-t-on une expédition hivernale sur un sommet de plus de 8 000 mètres ?

Gravir un 8 000 en hiver n’est pas seulement une question de préparation physique, c’est une opération très particulière dont je commence à avoir l’expérience, puisque c’était ma quinzième expédition hivernale sur un total de 54. Il fait beaucoup plus froid, le vent est plus violent, les jours sont très courts et les fenêtres météo favorables sont rares et très réduites. Il faut vraiment un gros mental, car ça suppose des semaines d’attente au camp de base dans le froid et souvent dans la grisaille. J’ai vu beaucoup d’alpinistes célèbres craquer psychologiquement au bout d’un mois. Tamara Lunger et moi sommes partis d’Italie du 6 décembre 2015 au 5 mars 2016. Nous sommes arrivés au camp de base pour Noël, à pied. C’est une marche relativement facile de deux jours et demi à partir de Chilas, ville du Gilgit-Baltistan située sur la route du Karakorum, jusqu’où on est allés en venant d’Islamabad en voiture. Je suis intraitable sur la règle qui veut qu’une hivernale ne commence pas avant le 21 décembre et s’achève avant le 21 mars.

Comment s’est déroulée l’ascension ?

Nous n’avions ni porteur d’altitude ni oxygène artificiel. Avec Tamara, nous visions une voie ouverte par Reinhold Messner, mais les séracs menaçants ont vite transformé cette tentative en jeu de roulette russe. A la fin de janvier, nous avons donc accepté l’invitation d’Alex et d’Ali sur la route Kinshofer, la route normale, sur le versant ouest. J’ai connu Alex en 2003 au Broad Peak (8 051 mètres). On s’est souvent revus depuis et on s’entend bien. Nous n’étions pas suffisamment acclimatés pour l’ascension, car nous n’avions passé qu’une nuit à 6 200 mètres, ce qui, pour gravir un sommet de presque 8 200 mètres sans oxygène artificiel, n’est pas assez. Il nous en aurait fallu une autre à 7 100 mètres, mais on était tellement motivés qu’on a quand même tenté le coup. Tamara avait les ressources pour monter au sommet, mais elle était malade et elle craignait d’être affaiblie à la descente et d’avoir besoin de notre aide. Elle a fait preuve d’une formidable maturité en privilégiant la sécurité collective. Elle a décidé de nous attendre quelques dizaines de mètres sous le sommet.

Tamara Lunger, Alex Txikon et Ali Sadpara pendant l’ascension du Nanga Parbat.

Cette ascension consacre aussi Ali Sadpara comme le premier Pakistanais à gravir le Nanga Parbat en hiver, et comme l’un des meilleurs alpinistes de son pays…

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Il l’avait déjà gravi deux fois en été et il a aussi réussi l’ascension du Broad Peak, du Gasherbrum I (8 068 mètes) et du Gasherbrum II. Il a donc atteint quatre des cinq sommets de plus de 8 000 mètres situés au Pakistan. Il travaille comme porteur d’altitude pour les expéditions, mais il est également passionné d’alpinisme, ce qui n’est pas si courant parmi les hommes exerçant cette profession dans son pays. Je veux l’aider à trouver des sponsors.

Le souvenir des dix alpinistes exécutés sommairement par des talibans au camp de base du Nanga Parbat le 22 juin 2013 ne vous a pas perturbé ?

Non. Les terroristes ne frappent jamais deux fois au même endroit. Et, depuis cette attaque, chaque expédition est protégée au camp de base par deux policiers armés de kalachnikov.

Les puristes vous reprocheront de ne pas avoir accompli cette ascension en style alpin, puisque – si vous n’avez pas utilisé de porteurs d’altitude, ni d’oxygène artificiel – vous avez eu recours à des cordes fixes…

Les puristes auront raison. Cette voie était déjà équipée en partie de cordes fixes, et Alex et Ali ont eux-mêmes posé le reste. Je les en remercie et je leur ai offert mon expérience des hivernales en échange. Ce que nous avons accompli est une première, mais ce n’est qu’une étape. Un jour, quelqu’un réussira cette hivernale en style alpin. Quelqu’un finira aussi par gravir les quatorze sommets de plus de 8 000 mètres en hiver.

Pour l’heure, vous surpassez les Polonais, qui s’étaient faits, dès les années 1980, les champions des ascensions hivernales de sommets de plus de 8 000 mètres…

C’est dans leur histoire ou à leur côté que j’ai puisé toute mon inspiration et ma motivation pour faire des 8 000 en hiver. Jerzy Kukuczka, qui avait réussi quatre hivernales dont trois premières – au Dhaulagiri (8 167 mètres) et au Cho Oyu (8 201 mètres) en 1985, au Kanchenjunga (8 586 mètres) en 1986 et à l’Annapurna (8 091 mètres) en 1987 –, est mort à 41 ans sur la face sud du Lhotse (8 516 mètres) en 1989. Maciej Berbeka, qui avait fait le Manaslu en 1984 et le Cho Oyu en 1985, est mort à 59 ans, en 2013, en tentant le Broad Peak en hiver. Krzysztof Wielicki en a gravi trois : l’Everest (8 848 mètres) en 1980, le Kanchenjunga en 1986 et le Lhotse en 1988, mais il a aujourd’hui 66 ans. Avec le Russo-Polonais Denis Urubko, qui a 42 ans, j’ai fait le Makalu en 2009, et il a réussi le Gasherbrum II en 2011 avec un autre compagnon d’expédition.

Vous aurez 49 ans cette année, quels sont vos projets ?

J’arrêterai les expéditions d’ici à quatre ou cinq ans. Maintenant, je vais me consacrer essentiellement à l’ascension de sommets vierges de 7 000 mètres, plus techniques, mais j’envisage encore des tentatives hivernales sur des 8 000. L’Everest en hiver et sans oxygène est un défi tentant. Je l’ai déjà gravi quatre fois, dont une en hiver mais en utilisant de l’oxygène artificiel, et j’avais atteint le sommet un 21 décembre mais en débutant mon expédition en novembre, donc ça ne compte pas. L’Everest en hiver est un objectif d’autant plus réaliste que son camp de base, situé à 5 300 mètres, est beaucoup plus élevé que celui du Nanga Parbat, qui se trouve à 4 200 mètres, ce qui rend l’ascension plus courte. Par ailleurs, je suis pilote d’hélicoptère et j’ai monté une petite compagnie consacrée aux missions de sauvetage en haute altitude et de charter au Népal avec des partenaires locaux. Quand je ne grimpe pas, je pilote.

Le K2 (8 611 mètres), désormais le seul des quatorze sommets de plus de 8 000 mètres à n’avoir jamais été atteint en hiver, ne vous tente pas ?

Ma femme m’a fait jurer de ne pas y mettre les pieds. En 2011, après mon hivernale réussie du Gasherbrum II, elle a fait un rêve très précis dans lequel je mourrais au K2. Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai deux enfants, de 17 et 6 ans, et je ne suis pas assez idiot pour aller vérifier que ce rêve était prémonitoire.

De gauche à droite, Alex Txikon, Tamara Lunger, Simone Moro et Ali Sadpara de retour au camp de base
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